La période de jeûne (Ramadan) a débuté il y a quelques semaines en France. L’occasion de revenir sur le marché du halal en France et les acteurs présents sur ce dernier. Mais également sur ce marché de niche dopé par le Ramadan, période de « surconsommation ».
Définition du terme « halal »
Avant toute chose, il convient de définir le terme « halal ». Est considéré comme « halal », tout produit licite, ne contenant pas d’éléments illicites (par opposition au terme « haram ») et respectant une méthode spécifique d’abattage des animaux. Concernant la composition du produit halal, ce dernier ne doit pas contenir de viande issue d’animaux prohibés, de viande non rituelle et d’alcool en quantité décelable. Il s’agit d’un marché porteur qui s’étend à tous les produits alimentaires y compris les produits non carnés.
Le marché halal et les principaux acteurs du marché
Le marché du halal est devenu un marché colossal qui représentait en France et en 2010 un chiffre d’affaires de près de 5,5 milliards d’euros selon le cabinet Solis spécialisé dans le marketing et les sondages ethniques. Selon ce même cabinet, on recense en France près de 7 millions de musulmans, parmi lesquels 5 à 6 millions d’entre eux sont des consommateurs potentiels de produits halal.
Comme l’indiquent les auteurs Florence Bergeaud-Blackler et Bruno Bernard dans leur ouvrage « Comprendre le halal », le marché du halal est devenu un véritable « business moderne » dans la mesure où la croissance du commerce des produits industriels halal résulte d’un réel phénomène de la mondialisation. En effet, le marché français s’est consolidé ces cinq dernières années et cela tant en termes financiers qu’au niveau de sa visibilité marketing (campagnes publicitaires, lancements de nouveaux produits et innovations, diversification de l’offre…).
En termes de distribution, alors que la distribution des produits halal se limitait exclusivement au commerce de proximité (boucheries traditionnelles musulmanes, épiceries et superettes) il y a quelques années, cette distribution concerne désormais et également les Grandes et Moyennes Surfaces (GMS) et les Cafés-Hôtels- Restauration (CHR). Bien que les boucheries traditionnelles et les épiceries orientales restent les plus prisés par les consommateurs musulmans, il n’en demeure pas moins que les GMS ne cessent de développer des stratégies de développement et diversification de l’offre halal. Les acteurs de l’agroalimentaire ont donc pris conscience de la nécessité d’adapter leurs offres aux besoins des consommateurs musulmans et se sont ainsi progressivement emparés du marché halal en développant de nouveaux produits.
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Les acteurs du marché halal
Le marché est dominé par trois types d’acteurs :
– les acteurs historiques avec des marques historiques : Isla Délice, Islamondial, Dounia, Médina, Jumbo, Zakia Halal (marque du groupe Panzani). Marque pionnière du halal et leader de la charcuterie halal en France, Isla Délice propose un large éventail de produits à ses consommateurs (charcuterie, plats cuisinés frais et surgelés). Sa présence est multicananale (GMS + boucheries). Il s’agit de la première marque à avoir développé des campagnes de communication sur le marché du halal au niveau national avec son slogan « Fièrement Halal ».
– les acteurs nationaux avec les marques nationales : Fleury Michon, Labeyrie, Réghalal, Samia, Maggi, Yoplait, Candia… De nombreuses marques nationales se lancent sur ce segment porteur.
– les enseignes de la grande distribution avec le développement de leurs MDD : Pour le moment uniquement Carrefour et Casino (Wassila) ont développé leurs MDD halal.
Bien évidemment, cette liste n’est pas exhaustive. Il existe une multitude d’autres marques moins connues mais tout aussi appréciées par les consommateurs musulmans.
Selon une étude du cabinet Solis réalisée en Janvier 2010, l’offre halal des grandes marques nationales serait moins reconnue par les consommateurs musulmans que celle des marques historiques halal (mais elle reste tout de même significative). Le dynamisme du marché halal repose sur la diversité de l’offre (innovation produits) et sur les actions promotionnelles pendant la période du Ramadan notamment (qui fait l’objet d’une communication importante).
Le Ramadan : une période bénéfique pour la grande distribution
Les enseignes de la grande distribution profitent de cette période festive du Ramadan pour engendrer des bénéfices non négligeables. En effet, aussi paradoxal que cela puisse être, bien qu’il s’agisse d’une période de jeûne, il s’agit également d’une période de grande consommation pendant laquelle les dépenses alimentaires des ménages de confession musulmane augmentent de près de 40 %. Les enseignes de la grande distribution en profitent donc pour investir massivement dans ce créneau stratégique en déployant diverses mises en scène (théâtralisation en magasins avec des décors « mille et une nuits », de la PLV, de l’affichage…) et en mettant en avant une large offre de produits « halal » destinée à répondre aux besoins des consommateurs musulmans. Feuilles de brick, dattes, lait fermenté, soupes et autres produits divers (viande, produits transformés à base de viande, pâtisseries orientales, fruits secs…) figurent parmi les produits incontournables du Ramadan.
Véritable aubaine pour la grande distribution, les enseignes de la grande distribution n’hésitent donc pas à communiquer massivement lors de cette période en mettant notamment en place des opérations promotionnelles. En effet, elles développent des prospectus « spécial ramadan » et intègrent cette période dans leur planning annuel de périodes promotionnelles.
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Les prospectus/catalogues développés par les enseignes de la grande distribution pour le Ramadan 2016
Si Carrefour propose de découvrir « toutes les saveurs du Ramadan » dans son catalogue, Leclerc propose de découvrir les « saveurs d’Orient » dans le sien. Dans la même continuité, Auchan opte pour « le goût de l’orient » et Intermarché pour un « spécial Orient ».
Ces différents catalogues mettent en avant une offre entièrement adaptée aux besoins et aux habitudes de consommation des consommateurs musulmans pendant la période du Ramadan. On y retrouve bien évidemment des offres alimentaires mais également une offre non alimentaire (avec tout ce qui lié à l’art de la table).
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Prospectus Carrefour
Avec une page de couverture épurée évoquant les délices d’orient et un contenu de 24 pages, le catalogue de l’enseigne Carrefour est probablement celui qui propose le plus de produits. L’offre halal est complète, étoffée et destinée à répondre à tous les goûts, des plus traditionnels aux plus modernes. Dans son catalogue, l’enseigne associe à la vente de ses produits des recettes typiquement « orientales » (« harira », bricks à la viande). L’enseigne y inclut des publicités alimentaires avec des marques telles qu’Isla Mondial, Vahiné (poudre d’amande), Maitre Prunille (fruits secs et pâte d’amande) et Wonderful (pistache). On trouve également une publicité de l’opérateur Lebara Mobile, spécialisé dans la téléphonie et ciblant une clientèle « ethnique ».
A la page 2, l’enseigne met en avant les feuilles de brick Mil Brick (en 2+1 gratuit) et la boisson Selecto (-50% sur le deuxième produit) qui sont probablement les références qui génèrent le plus de chiffre d’affaires pendant cette période du Ramadan. A la page suivante, l’enseigne en profite pour mettre en avant sa MDD halal (viande).
Avec plus de 5 références dans le catalogue, Isla Délice confirme sa position de leader sur le segment de la charcuterie et des produits élaborés. La marque Samia poursuit également son développement avec plus de 10 références dans le catalogue de l’enseigne et une offre diversifiée (épices, semoule, harissa, sauce, galette durum, miel, bonbons…).
Les mécaniques promotionnelles développées par l’enseigne sont nombreuses (2+1 gratuit, -50% sur le deuxième produit, -30% de réduction immédiate…). En effet, on trouve dans son catalogue près de dix références en « 2+1 gratuit » et une vingtaine de références avec un « -50% sur le deuxième produit ». L’objectif étant d’attirer les consommateurs musulmans et surtout de les « stocker » pendant cette période de « surconsommation ».
Le catalogue de l’enseigne Carrefour s’avère ainsi relativement complet même si on doit tout de même souligner l’absence de classification des produits par catégorie de produits. En effet, Carrefour est la seule enseigne qui ne mentionne pas explicitement les catégories de produits dans son catalogue (bien que les produits soient bien regroupés par catégorie de produits) et ceci contrairement aux autres enseignes (Leclerc, Intermarché et Auchan) qui indiquent clairement les catégories de produits dans leurs catalogues. Le fait d’indiquer les catégories de produits rend le catalogue plus harmonieux et permet aux consommateurs de chercher par exemple un produit déterminé dans une catégorie de produits précise. Nous pouvons le constater dans les catalogues Auchan et Intermarché (voir photos des autres catalogues ci-dessous).
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Prospectus Auchan, Intermarché et Leclerc
Tout comme Carrefour, Intermarché intègre dans son catalogue promotionnel quelques recettes orientales comme la recette du couscous au poulet et légumes et celle des « makrout » (pâtisserie orientale à base de datte). Cela n’est pas le cas pour les deux autres catalogues. Il s’agit d’une bonne idée qui permet d’animer le catalogue.
Isla Délice et Réghalal confirment de nouveau leur position de leader dans les segments de la charcuterie, des surgelés et des plats cuisinés. En effet, on note une présence significative des deux marques pour ces catégories de produits dans les trois prospectus :
– Auchan : on y trouve 5 produits Isla Délice versus 1 produit Réghalal.
– Intermarché : on y trouve 7 produits Isla Délice versus 4 produits Réghalal. Au passage, on note le changement de packaging pour le saucisson sec de la marque Isla Délice. En effet, la marque a opté pour un packaging plus premium avec un logo plus modernisé.
– Leclerc : on y trouve 4 produits Isla Délice versus 4 produits Réghalal.
Carrefour est l’enseigne qui intègre le plus de promotions dans son catalogue (comme indiqué précédemment). Auchan se limite à des « -50% sur le deuxième produit acheté » (plus de cinq références) et des « 2+1 gratuits ». Intermarché propose exclusivement des produits ayant 30% de réduction immédiate dans son catalogue (plus d’une vingtaine de références). Quant à l’enseigne Leclerc, elle propose uniquement des réductions de 25% avec la carte de fidélité et ceci sur quelques références.
Pour résumé, alors que Carrefour ne lésine pas sur les moyens en multipliant les offres promotionnelles, Leclerc (son principal concurrent) se limite à de simples réductions immédiates en caisse. On note toutefois que ce dernier est plus agressif en termes de prix (pour certaines références hors promotion). Ci-dessous une comparaison de prix pour la référence Samia (miel) qui est disponible hors promotion dans les quatre enseignes.
Outre la période du ramadan, l’industrie halal en France connaît de manière générale un essor sans précédent mais il convient de souligner qu’il s’agit d’un marché peu réglementé.
Un marché non harmonisé
Bien qu’il s’agisse d’un marché florissant, le marché du halal en France est assujetti à divers problèmes de régulation et de contrôle. En effet, les principaux problèmes de ce marché résident dans l’absence totale de réglementation sur le halal (absence de cahier des charges clair) et la multiplication des organismes de certification qui ne sont pas tous fiables. Cette situation autorise certaines fraudes sur ce marché qui pèse près de 5,5 milliards d’euros. L’harmonisation des pratiques de certification (et donc l’harmonisation des cahiers des charges entre organismes certificateurs permettant de garantir une réelle traçabilité des produits halal) constitue l’un des enjeux de ce marché porteur.
Autre élément à relever : la délivrance de la marque « halal » par l’INPI. La marque « halal » n’est pas protégée et de ce fait, toute entreprise souhaitant apposer la désignation halal sur les emballages de ces produits peut le faire. Cet aspect ne peut que faire accroitre la méfiance de certains consommateurs quant à la réelle licéité des produits. La multiplicité des abus sur ce marché et les polémiques relatives à la réputation halal de certaines marques (Herta par exemple) ont notamment conduit à accroitre cette méfiance.
Au niveau mondial, selon le World Halal Forum de 2009, le marché mondial du halal représentait 635 milliards de dollars et le marché mondial des aliments halal (y compris la viande) s’élevait à 547 milliards de dollars. Avec un nombre de musulmans représentant près de 20% de la population mondiale et une demande de plus en plus croissante pour les produits halal, le marché mondial du halal est à l’aube de développements majeurs et va probablement connaitre des perspectives de croissance importantes dans les prochaines années. On compte aujourd’hui 1,6 milliard de musulmans dans le monde. Selon certaines estimations, la population musulmane devrait atteindre près de 30% de la population totale en 2025 et les aliments halal pourraient donc représenter près de 20% des échanges mondiaux dans les années à venir.
Le marché mondial du halal est donc porteur mais il est aussi complexe dans la mesure où il existe plus de deux cents agences de certification dans le monde qui ont chacune une interprétation différente du halal. En sus, l’absence de normes relatives au halal à l’échelle internationale, l’absence d’harmonisation des pratiques de la certification halal et l’absence d’un logo halal mondial reconnu par tous les pays du monde est un frein au développement de ce marché. Le marché mondial du halal est également fragmenté car chaque pays gère les normes halal différemment et la seule définition du terme « halal » diffère selon les pays.
Réputé de pays modèle en matière de certification halal dans le monde, la Malaisie se distingue des autres pays par sa parfaite maitrise de la normalisation et la certification halal (JAKIM). En effet, bénéficiant d’une image de fiabilité, la marché Malaisien est l’un des exemples les plus aboutis en matière de halal avec sa certification halal reposant sur un cahier des charges très rigoureux qui prend en compte non seulement les ingrédients des produits de consommation mais également le contrôle des instruments servant à la fabrication des produits et les zones de stockages et d’emballage. Dans ce pays, le « halal » s’étend à tous les produits agroalimentaires (viande, chocolats, eau…), aux produits (tels que les cosmétiques, les produits pharmaceutiques) et aux services (tourisme, finance islamique, infrastructures…). Ce pays a pour ambition de se constituer hub mondial du halal et plateforme mondiale de la production, distribution et promotion des produits et services halal.
Marché fragmenté, complexe mais porteur, le marché du halal (au niveau national et mondial) est promis à un avenir certain.
Article très intéressant sur un marché qui est loin d’arriver à maturité .
Tout à fait le marché est loin d’être mûr. L’avenir nous dira si la Malaisie servira de base à un référentiel mondial qui serait le bienvenu pour apporter toute la transparence que les clients attendent a juste titre.